Sept huitième (*)

* la partie immergée de l’iceberg

Série de onze paysages photographiés entre 2010 et 2020

 

L’Antarctique représente pour moi une terre lointaine et mystérieuse. Une terre de sciences aussi, dédiée aux recherches et aux expérimentations dans différents domaines. Je pensais ce continent glacé encore épargné par les conséquences du dérèglement climatique, jusqu’à ce que je prenne conscience il y a peu de temps, de sa vulnérabilité et des risques liés à la désintégration progressive de certains de ses glaciers.

En 2020, alors que l’accès à l’espace est limité par un confinement de plusieurs semaines, je décide de partir découvrir ce continent emblématique, grâce à l’outil de navigation Google Earth. Très vite, je comprends qu’il me faudra adapter mon voyage à la disponibilité partielle des images et à leurs qualités hétérogènes. Par chance, les espaces recherchés – la banquise et les glaciers bordant le continent – restent les mieux documentés. Etonnamment, faisant écho aux caractéristiques géologiques du lieu, leurs représentations apparaissent fragmentées. Le paysage aérien est ainsi composé d’un patchwork d’images aux couleurs bigarrées. Prélevées à des dates différentes sur des superficies plus ou moins vastes, ces zones superposées les unes aux autres forment un décor composite difficile à déchiffrer.

Je décide malgré tout de m’affranchir autant que possible des artefacts ainsi créés, en me rapprochant le plus possible de la terre pour observer en détail les surfaces de glaces échantillonnées. A quelques milliers de mètres d’altitude, je me familiarise progressivement avec la représentation des icebergs, de la banquise et de l’inlandsis en contact avec l’océan Par endroit je m’attarde sur les images archivées au fil des décennies pour écouter plus attentivement ce que ces lieux si particuliers ont à me raconter. Observer leur métamorphose et percevoir leur fragilité et leur destinée éphémère est troublant. Je reste aussi séduit par les ombres portées sur la glace, et le dessin des icebergs dérivant sur l’océan. D’étonnants effets de matières marbrées, boisées ou nervurées captent mon attention. Un dialogue commence à s’instaurer dans lequel subsistent souvent un degré d’incompréhension.

Dans ce labyrinthe d’images, mon regard confiné est accaparé et par moment hypnotisé, à la recherche de sens, d’une traduction. Alors que je déambule « carte en main » me vient soudain le sentiment d’explorer un autre monde, de franchir une frontière.  A cet instant apparait une réalité plus secrète et cachée, postée à un endroit bien précis. Un mystérieux espace tridimensionnel émerge installant une impression d’immensité et d’infini. Un nouveau visage de l’Antarctique semble s’ouvrir. Dès lors, captivé par cette expérience nouvelle, je décide de poursuivre mon excursion en continuant à scruter chaque kilomètre carré à la recherche de nouveaux espaces à révéler. Quelques milliers de kilomètres plus loin, la magie opère à nouveau. Sans le savoir, commence alors un long périple d’environ 20 000 km sur plusieurs semaines, à la recherche de « la partie immergée de l’iceberg ».

Pigment prints on Hahnemühle paper.

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